Article paru (en partie) à TUNIS-HEBDO du 28 Septembre 2015
A propos du Tome 2 du livre de
Mohamed Mestiri, LA MEDINA DE SOUSSE, SANS COMPLAISANCE... Ou comment
sauvegarder son patrimoine ?
LA RECIDIVE ... CONSTRUCTIVE DE
MOHAMED MESTIRI
Par MOEZ NAIJA- SOUSSE
Déjà, à partir du titre, et tout le
long de l’ouvrage ; un pavé de 450
pages, on ressent un changement d’attitude manifeste chez l’auteur. On n’est
plus dans le pamphlet, parfois séditieux, parfois stigmatisant, mais toujours péremptoire, du tome 1, mais plutôt dans une passionnante œuvre de
découverte – redécouverte pour certains- des richesses escomptées de la médina de Sousse, et de la valeur
intrinsèque du legs de ses ancêtres.
Si Mohamed Mestiri abroge dignement sa
formation – entendez aussi déformation- professionnelle de «donneur de leçons», et s’érige dans son deuxième tome,
avec beaucoup de tact et de finesse, en un véritable savant-chercheur dans
le très délicat domaine du patrimoine, ostensiblement réservé à une élite
formée dans des établissements spécialisés
et rodée par une pratique de terrain riche, variée et substantielle .
Il passe du
rôle de l’observateur réprobateur et accusateur, qui s’acharne plutôt sur
l’action (voir notre article paru au journal « Tunis-Hebdo » N° 2008
du 01 Juillet 2013, «La médina de Sousse sans complaisance ! Oui ... mais avec
un peu de diligence», au rôle de
témoin attentif, curieux, minutieux,
méticuleux, et, changement de taille, dénonciateur de l’inaction.
Si, si Mohamed Mestiri a prêché dans
son tome un, par une posture de « chasse aux sorcières », à travers
les excès de jugements colportés à l’encontre de tout instance, organisme,
association et même individus et leurs œuvres ou même ébauches, il se convertit, et s’affirme dans son
tome deux, en documentaliste didactique et éducateur.
Et le livre est marqué par cet esprit
de recherche approfondie des faits historiques qui marquent encore le conscient
et le subconscient de la population. Il est rehaussé par des prospections laborieuses des personnages et des événements qui ont
marqués les lieux énigmatiques de la médina. Il relate avec exubérance des témoignages
de chercheurs avérés, mais aussi de gens très communs ; véritables connaisseurs
de leurs environnement immédiat, et
s’étend d’une manière prolifique sur les différentes significations du legs des
ancêtres, plein de sens et surtout de sagesse.
Et les exemples fusent dans tous les
sens, allant du caractère « original et originel » multiconfessionnel,
de la médina de Sousse, les secrets des portes de la médina, la prison des
femmes, et celle des hommes, « Dar Aâdal et Habs El Mokhtar » , les
inscriptions sculptées de la grande mosquée, etc..., sans, bien entendu,
oublier les sujets chers à si Mohammed
Mestiri ; tel cet attachement avéré de nos aïeuls aux réelles valeurs écologiques
des temps modernes, comme l’atteste la fabrication domestique des savons ( Que
le Bon Dieux garde ma mère et belle mère qui, chaque année recueillent les
huiles usagées de toute la famille pour en faire du savon d’une qualité
inégalée) .
Certes le domaine du patrimoine,
prohibe l’autodidaxie, et requiert pour l’aborder, une spécialisation et une
connaissance parfaite des méthodes et des anthologies, et le lecteur du livre, palpe que l’auteur excelle, là ou de véritables
experts, conservateurs professionnels
ont pêché par leur manque de lucidité, leur affiliation sournoise à la
bureaucratie écrasante de nos institutions en charge des dossiers du patrimoine,
et parfois à une subordination infondée
aux aléas politiques.
Le livre, dans tout ça, nous fait découvrir
et redécouvrir notre médina aux multiples facettes, qui porte toujours le poids
de l’histoire et aussi, de l‘inhérence des individus.
Si Mohamed Mestiri fidèle à sa réputation
de contestataire né, continu à fustiger l’inertie, le laxisme, sans aller jusqu’à pointer les responsables comme ce fut dans le tome 1, il remplace ses
diatribes stigmatisantes par une réouverture des dossiers englouties par l’inefficacité,
l’inefficience et même parfois l’incongrue tache humaine.
Et c’est sur cette voie purement
constructive, que l’auteur impose de réelles réflexions sur le devenir de la
médina, parfois pathétique, et surtout, de certaines formes de son legs
intangible, à l’image des personnages, qui ont marqué cet espace vital.
On apprend et réapprend.
Et au delà du travail de fond élaboré,
généralement minutieux et jamais approximatif, l’auteur met un autre point
d’honneur à provoquer, susciter des interrogations diverses, voire même invite à
ouvrir des débats, comme cette invitation à réfléchir sur ce mode, ou plutôt, cette
« mode » de paver laconiquement les ruelles par de la pierre blanche
taillée, que beaucoup de médinas tunisiennes ont adopté sans réflexion
ni recherche sur le bienfondé d’un tel choix.
Enfin, et au-delà du contenu riche et
stimulant, de ce tome deux, le livre prêche par une austérité flagrante sur le
plan de la forme. En effet, avec un style simple et éducatif, et un contenu
aussi riche et marqué, on aurait souhaité une mise en page plus convaincante,
des illustrations plaisantes, plus
nettes et pourquoi pas en couleur. Une meilleure organisation par chapitres,
aurait donné au contenu une meilleure lisibilité et aurait permis au lecteur
une meilleure accessibilité aux tas
d’informations... débitées.
En effet, l’auteur nous apprend sur les
portes des remparts au début du livre, pour en parler de nouveau au milieu et à
sa fin. La même remarque est perceptible pour d’autres sujets tels les
curiosités de la médina ou les personnages emblématiques.
Il y a aussi l’image de la couverture,
bien que significative, elle demeure mystérieuse pour le lecteur qui doit aller,
ou plutôt arriver, à la fin du livre pour en comprendre le sens.
Il y a ce coté sponsoring, bien que limité mais qui entache
le contenu scientifique de l’ouvrage par une certaine inconvenance. On comprendrait
peut-être les soucis pécuniaires d’une telle œuvre, pour un potentiel de
lecteurs très limité. Mais on aurait souhaité une meilleure prise en charge de l’œuvre
par une abnégation, synonyme de discrétion des mécènes.
Mais toutes ces carences n’entachent en rien le contenu riche et
varié du livre qui se positionne comme
un ouvrage clé sur le patrimoine de la ville de Sousse et qui enrichie subtilement
la très modeste bibliothèque réservée à la médina de Sousse.
Si Mohamed Mestiri, prouve dans les
deux tomes de son ouvrage, que le
patrimoine n’est pas l’apanage d’une élite d’experts, ni d’instances
spécialisées, et que chacun peut
apporter son lot de connaissances et de savoir sans bien entendu tomber dans
les excès ou la désinvolture.
Ce genre d’initiatives, conjugué avec
le dynamisme de la société civile, pourrait, en ces moments de flottement, être
stimulateur du bon sens et jouer un rôle essentiel dans la préservation
de notre patrimoine, là ou notamment notre
administration prêche toujours par une
centralisation pernicieuse et une bureaucratie corruptrice et que
nos collectivités peinent à décoller et à se débarrasser de la routine administrative, des faux blocages
et des comportements laxistes, malgré
les rares bonnes intentions, incapables
de modifier le cours des choses.
MOEZ
NAIJA- SOUSSE
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