lundi 5 mai 2014

UN QUARTIER FANTOME A SOUSSE. TUNIS-HEBDO N° 2052 du 05/05/2014





UN QUARTIER FANTÔME A  SOUSSE.

J’arpente scrupuleusement la ruelle qui longe les remparts nord en scrutant les demeures vidées, par crainte d’être attaqué par des énergumènes, profitant du néant pour effectuer des rapts obsolètes. 

Les victimes potentielles sont généralement les anciens côtoyeurs  de l’endroit,  n’ayant pas imaginé sa désuétude ; incrédules de voir les lieux transformés en un champ de ruines après des décennies d’une fragile animation charnelle. Il y aurait aussi  des nostalgiques en quête de pulsions érotiques,  des touristes errants dans les serpentes  exotiques  de la médina et des  brigands à la recherche du butin facile. 

C’est que dès  sa fermeture par une  décision de justice, le quartier réservé- le bordel- situé aux confins nord-est de la Médina de Sousse,  est devenu le lieu de prédilection de toutes les exactions. 

Le deux juillet, deux mille douze, le  tribunal de première instance de Sousse, avait décidé  la fermeture de la maison close de Sousse suite à une  série de procédures  juridiques menées  par les habitants riverains.

Mais avant ce verdict, la maison close avait vécu, depuis la révolution, une série de razzias moralistes  effectuées par des fondamentalistes prônant  la purification des mœurs du bon peuple.
 
Des polémiques ont accompagnées ces actes et le bien-fondé de la décision de justice... Je n’en suis pas là... Je dépasse toutes les tergiversations, juste pour effectuer un constat ... découvrir ... discerner  le réel du  mythe...  d’un quartier qui a toujours vécu dans l’anonymat ... atteint par la décence. 

Et j’en suis ahuri... Mon  constat est  effrayant... Ma découverte est macabre... je  découvre un  quartier, voué  au précipice après s’être vidé de ses « occupantes ». Un espace  renfermé, discret, inconnaissable. 

Un lieu qui existe hors du temps et en de hors de la ville.

Je constate avec amertume que la fermeture du quartier réservé de Sousse a généré une réouverture d’un pan occulté de la Médina. Une partie de la cité, socialement stigmatisée, mentalement blâmée et urbainement proscrite.

C’est dire que pendant plusieurs décennies, voire un siècle entier, la situation de ce quartier et les conditions de ses activités ont échappé aux pouvoirs publics et  ont, physiquement et intellectuellement, suggestionné les quartiers limitrophes et l’ensemble de la Médina.

Je découvre, une partie de la ville qui a toujours vécu dans la clandestinité, voué au précipice. Une partie qui fut amputée de la morphologie urbaine  de la cité et de son  âme...  mais qui a spontanément résisté à la déformation.

Puisque, paradoxalement, l’espace a gardé ses propres repères urbanistiques et patrimoniaux. Il a conservé les éléments substantiellement riches d’un tissu urbain original, bien qu’il soit dans un état de délabrement avancé et malgré la défiguration anachronique des façades des locaux.

L’espace requiert  en urgence une  réintégration  urbaine, quelque soit ses fonctions, prélude à une réinsertion  sociale et culturelle, et même émotionnelle, eu égard aux rapports conflictuels et une  perception minimaliste des habitants.

Une réintégration qui devrait prendre aussi  des  dimensions affectives et émotionnelles puisque le quartier  reste - malgré les changements très profonds qu’il vient de subir- voué  à l’exclusion certes, urbaine, mais surtout conceptuelle trop chargée par des considérations moralistes. 

C’est aussi  avec une  vision patrimoniale à portées  humaines (humanistes) qu’il faudra  reconsidérer ce quartier. Une telle réflexion  incombera aux structures administratives (municipalité, patrimoine, culture, tourisme, concessionnaires publics etc.) mais aussi aux ayants droits ; propriétaires, riverains, citoyens de la médina, de la ville,  société civile, artistes créateurs ... 

Tous doivent être associés dans une démarche qui mènera à la réinsertion de  ce quartier dans son environnement, prélude à  son acceptation par «la ville ».
Dans l’état actuel, de la période transitoire, où les écarts et les exactions que subit l’espace urbain sont fréquents, il est urgent d’agir et sauver cette  partie  de la Médina, riche en éléments urbains et patrimoniaux, mais sous le poids stressant de ses activités antérieures...

L’espace ?

C’est 53 locaux, maisons ou parties de maisons, certainement subdivisées pour les besoins des activités antécédentes. 2700m² couverts, soit environ 1.2% de la surface du bâti au sol de la Médina. C’est aussi 1100 m² d’une voirie totalement délabrée, en flagrant retard par rapport à ce qui fut entrepris dans le reste de  la Médina ; une infrastructure primitive (les réseaux d’eau potable et d’assainissement), détériorée, parfois inexistante comme le cas de l’absence d’un réseau d’évacuation des eaux pluviales.


Rue Sidi El Kelani
 C’est une zone totalement isolée par rapport à son environnement immédiat. Hermétiquement fermée.  Après la démolition de deux murs qui cloitraient la principale rue, trois autres murs subsistent. Les fermetures  des rues Sidi El Kelani  et de la rue Sidi El Béchir.

  Le quartier comprend des monuments historiques ; un pan des remparts ; 115 ml (soit 4 % de l’ensemble des remparts de la Médina de Sousse) qui se trouve en piteux état. Il comprend aussi trois mausolées, le premier ; très original « Sidi Mosbah » niché dans le coin Nord-est des remparts.  Il a demeuré en bonne état, grâce probablement à, l’intérêt que lui ont porté les anciennes occupantes des lieux. Le second ; Sidi El Kelani, squatté et en état de ruines. Le troisième Sidi El Béchir qui requiert une opération de restauration assez profonde. 


Placette

 Finalement, c’est une morphologie intacte, composées d’une rue principale qui longe les remparts. Cette rue  a permis de nouveau la liaison fluide entre «Bab E-jebli», porte nord  à «Bab El-Fingua» ou la petite porte ouest. Des ruelles,  serpentées, typiquement Médina de Sousse  et une placette de 400m² environ ; élément urbain rare à la Médina de Sousse, parfaitement exploitable dans une perspective de mise en valeur et d’animation urbaine.

Je quitte  le quartier fantôme, sain et sauf, ayant échappé aux forfaits des petits délinquants... Mais je demeure inquiet  pour l’avenir de ce pan de la médina. C’est de la voracité et l’avidité des grands brigands qu’il faudra se méfier !!!
MOEZ NAIJA – SOUSSE

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