UN QUARTIER FANTÔME A
SOUSSE.
J’arpente scrupuleusement la ruelle qui
longe les remparts nord en scrutant les demeures vidées, par crainte d’être
attaqué par des énergumènes, profitant du néant pour effectuer des rapts
obsolètes.
Les victimes potentielles sont généralement
les anciens côtoyeurs de l’endroit, n’ayant pas imaginé sa désuétude ;
incrédules de voir les lieux transformés en un champ de ruines après des
décennies d’une fragile animation charnelle. Il y aurait aussi des nostalgiques en quête de pulsions
érotiques, des touristes errants dans
les serpentes exotiques de la médina et des brigands à la recherche du butin facile.
C’est que dès sa fermeture par une décision de justice, le quartier réservé- le
bordel- situé aux confins nord-est de la Médina de Sousse, est devenu le lieu de prédilection de toutes
les exactions.
Le deux juillet, deux mille douze, le
tribunal de première instance de Sousse,
avait décidé la fermeture de la maison
close de Sousse suite à une série de procédures
juridiques menées par les habitants riverains.
Mais avant ce verdict, la maison
close avait vécu, depuis la révolution, une série de razzias moralistes effectuées par des fondamentalistes prônant la purification des mœurs du bon peuple.
Des polémiques ont accompagnées ces
actes et le bien-fondé de la décision de justice... Je n’en suis pas là... Je
dépasse toutes les tergiversations, juste pour effectuer un constat ...
découvrir ... discerner le réel du mythe... d’un quartier qui a toujours vécu dans
l’anonymat ... atteint par la décence.
Et j’en suis ahuri... Mon constat est effrayant... Ma découverte est macabre... je découvre un quartier, voué
au précipice après s’être vidé de ses « occupantes ». Un
espace renfermé, discret,
inconnaissable.
Un lieu qui existe hors du temps et
en de hors de la ville.
Je constate avec amertume que la
fermeture du quartier réservé de Sousse a généré une réouverture d’un pan
occulté de la Médina. Une partie de la cité, socialement stigmatisée, mentalement
blâmée et urbainement proscrite.
C’est dire que pendant plusieurs décennies,
voire un siècle entier, la situation de ce quartier et les conditions de ses activités
ont échappé aux pouvoirs publics et ont,
physiquement et intellectuellement, suggestionné les quartiers limitrophes et
l’ensemble de la Médina.
Je découvre, une partie de la ville qui
a toujours vécu dans la clandestinité, voué au précipice. Une partie qui fut amputée
de la morphologie urbaine de la cité et
de son âme... mais qui a spontanément résisté à la
déformation.
Puisque, paradoxalement, l’espace a gardé
ses propres repères urbanistiques et patrimoniaux. Il a conservé les éléments substantiellement
riches d’un tissu urbain original, bien qu’il soit dans un état de délabrement
avancé et malgré la défiguration anachronique des façades des locaux.
L’espace requiert en urgence une réintégration urbaine, quelque soit ses fonctions, prélude à
une réinsertion sociale et culturelle,
et même émotionnelle, eu égard aux rapports conflictuels et une perception minimaliste des habitants.
Une réintégration qui devrait prendre
aussi des dimensions affectives et émotionnelles
puisque le quartier reste - malgré les
changements très profonds qu’il vient de subir- voué à l’exclusion certes, urbaine, mais surtout
conceptuelle trop chargée par des considérations moralistes.
C’est aussi avec une
vision patrimoniale à portées
humaines (humanistes) qu’il faudra
reconsidérer ce quartier. Une telle réflexion incombera aux structures administratives
(municipalité, patrimoine, culture, tourisme, concessionnaires publics etc.)
mais aussi aux ayants droits ; propriétaires, riverains, citoyens de la
médina, de la ville, société civile,
artistes créateurs ...
Tous doivent être associés dans une
démarche qui mènera à la réinsertion de ce quartier dans son environnement, prélude
à son acceptation par «la ville ».
Dans l’état actuel, de
la période transitoire, où les écarts et les exactions que subit l’espace
urbain sont fréquents, il est urgent d’agir et sauver cette partie
de la Médina, riche en éléments urbains et patrimoniaux, mais sous le
poids stressant de ses activités antérieures...
L’espace ?
C’est 53 locaux, maisons ou parties
de maisons, certainement subdivisées pour les besoins des activités
antécédentes. 2700m² couverts, soit environ 1.2% de la surface du bâti au sol
de la Médina. C’est aussi 1100 m² d’une voirie totalement délabrée, en flagrant
retard par rapport à ce qui fut entrepris dans le reste de la Médina ; une infrastructure primitive
(les réseaux d’eau potable et d’assainissement), détériorée, parfois
inexistante comme le cas de l’absence d’un réseau d’évacuation des eaux
pluviales.
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Rue Sidi El Kelani |
C’est
une zone totalement isolée par rapport à son environnement immédiat.
Hermétiquement fermée. Après la
démolition de deux murs qui cloitraient la principale rue, trois autres murs
subsistent. Les fermetures des rues Sidi
El Kelani et de la rue Sidi El Béchir.
Le
quartier comprend des monuments historiques ; un pan des remparts ;
115 ml (soit 4 % de l’ensemble des remparts de la Médina de Sousse) qui se
trouve en piteux état. Il comprend aussi trois mausolées, le premier ;
très original « Sidi Mosbah » niché dans le coin Nord-est des
remparts. Il a demeuré en bonne état,
grâce probablement à, l’intérêt que lui ont porté les anciennes occupantes des
lieux. Le second ; Sidi El Kelani, squatté et en état de ruines. Le
troisième Sidi El Béchir qui requiert une opération de restauration assez
profonde.
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Placette |
Finalement,
c’est une morphologie intacte, composées d’une rue principale qui longe les
remparts. Cette rue a permis de nouveau
la liaison fluide entre «Bab E-jebli», porte nord à «Bab El-Fingua»
ou la petite porte ouest. Des ruelles,
serpentées, typiquement Médina de Sousse et une placette de 400m² environ ;
élément urbain rare à la Médina de Sousse, parfaitement exploitable dans une
perspective de mise en valeur et d’animation urbaine.
Je quitte le quartier fantôme, sain et sauf, ayant
échappé aux forfaits des petits délinquants... Mais je demeure inquiet pour l’avenir de ce pan de la médina. C’est de
la voracité et l’avidité des grands brigands qu’il faudra se méfier !!!
MOEZ NAIJA – SOUSSE