I.
INTRODUCTION
La Médina de Sousse a été inscrite sur la
liste du Patrimoine mondial
de l’UNESCO
le 09 décembre
1989. Elle est classée patrimoine
mondial de l’humanité.
Depuis, elle subit des transformations,
sur les plans architecturaux et
socio-économiques, incontrôlés.
Ces transformations ont nui aux aspects de son identité et à
l’harmonie de ses composantes patrimoniales.
Aujourd’hui,
ces transformations pourraient mettre en
danger les caractéristiques grâce auxquelles le site a été inscrit sur la Liste
du patrimoine mondial.
Il faut rappeler que la Médina de Sousse
est considérée patrimoine mondial parce qu’elle répond aux critères
suivants :
Critère (iii) :« la Médina de Sousse apporte un témoignage
exceptionnel sur la civilisation des premiers siècles de l’Hégire. La
Médina est conçue selon un plan régulier avec son axe méridien, menant de Bab
el Kebli au Ribat et à l’ancien port, et son axe est-ouest, allant de Bab el
Djedid à Bab el Gharbi. Elle constitue
un exemple précoce et intéressant de la ville islamique».
Critère (iv) :« Le plus ancien
et le mieux conservé de toute la série, le Ribat de Sousse est un exemple
éminent de ce type de construction, avec son enceinte rectangulaire flanquée de
tours et de tournettes, percée d’une seule porte, au sud, avec sa cour
intérieure à deux niveaux sur laquelle ouvrent trente cinq cellules, une
mosquée occupant le côté méridional du premier étage, avec sa tour sud-est,
adjonction de 821, à la fois minaret et vigie, d’où l’on pouvait transmettre
des signaux au Ribat de Monastir».
Critère (v) :« La médina de Sousse constitue un exemple
éminent de l’architecture arabo-musulmane et méditerranéenne qui reflète un
mode de vie traditionnel particulier. Cette typologie, devenue vulnérable sous
l’effet des mutations socio-économiques irréversibles et de la modernité,
constitue un patrimoine précieux qui doit être sauvegardé et protégé».
Ces valeurs connaissent depuis deux décennies
des processus complexes de dégradation et de transformation qui ont gravement porté préjudice aux valeurs
patrimoniales et à l’identité de la cité. Elles sont malheureusement l’œuvre d’acteurs locaux (population résidente ou
opérantes), et un dysfonctionnement de l’appareil technique et administratif chargé
de la gestion urbaine et de la conservation du patrimoine.
II.
MENACES
L’équilibre entre
les fonctions, les besoins des habitants et les questions relatives au
patrimoine ainsi que l’application des réglementations existantes, sont les
sources d’une grande difficulté de gestion de l’espace. Les acteurs locaux se
sont trouvés dépassés voire impuissants devant des abus généralisés qui
menacent l’intégrité et l’authenticité
du site.
L’intégrité visuelle de la cité est par conséquent menacée par les
nouveaux développements à l’intérieur et à l’extérieur des limites matérialisées par les
remparts, un des monuments les mieux conservés à l’échelle mondiale
L’authenticité est aussi rendue vulnérable
sous l’effet d’une conservation inappropriée du patrimoine bâti et une
édification inadaptée de nouvelles constructions.
L’aspect architectural patrimonial se
trouve défiguré par les habitants (ou utilisateurs)
eux-mêmes. L’architecture de la Médina de Sousse est typiquement
sobre et élégante. Elle est malheureusement modifiée sans tenir compte
de l'aspect architectural historique. La ville ancienne risque d'être défigurée
par des bâtiments dont l'aspect n’a rien à voir avec la typologie de l’art
arabo–musulman propre à Sousse. Ceci se traduit fortement par une altération de l’aspect des façades par les
résidents et les commerçants. Des mutations qui défigurent les apparences des rues et menacent une
disparition pure et simple de la typologie générale de la Médina.
A cela s’ajoute un traitement inadéquat
de l’espace extérieur par des opérateurs publics, telle que la prolifération
anarchique des réseaux aériens; œuvre d’entreprises publiques.
En outre, une importante partie du
patrimoine bâti, est en ruine ou menace de s’effondrer avec une absence de solutions immédiates.
D’autre part, le mauvais usage de
l’espace urbain de la Médina par les
fonctions commerciales crée une série de
dérèglements qui menacent l’existence même
de la Médina comme valeur essentielle du patrimoine vivant et
hétéroclite.
Il s’agit surtout de l’invasion de la
fonction commerciale aux dépens de la fonction résidentielle, d’une gestion
impropre des activités commerciales,
tournées vers l’artisanat et la vente de produits de la contrefaçon
et surtout d’une prolifération du
commerce parallèle (anarchique) qui offre des produits de très bas de gamme et
occupe des voies de circulation et des places nobles. Ce phénomène dégrade structurellement l'espace public
urbain, par le développement du désordre et de la confusion.
III.
CAUSES
Ces dérèglements sont dus, à notre avis, à
un cumul d’insuffisances structurelles et à des lacunes de gestion :
Nous citons :
1. Une absence de vision stratégique et
d’une volonté politique claire à l’échelle centrale. Ceci s’est toujours
traduit par une absence d’une politique
de sauvegarde du patrimoine historique et traditionnel. Une telle politique
aurait dû – si elle avait lieu – faire
imbriquer toutes les composantes du patrimoine vivant dans une démarche de
conservation intégrée et généralisée. Les Centres Historiques seraient de ce
fait un lieu privilégié de l’habitat
dans ses dimensions sociales, des activités commerciales, et de la créativité
artisanale et culturelle.
2. Une absence d'orientations et de
directives propres en matière de gestion de l’espace urbain - sensible - de la
Médina. Ce qui a mené une dispersion de compréhensions, de visions, d'approches
et d'interprétations de la part des différents acteurs et intervenants.
3. Une insuffisance de contrôle de gestion
notamment le contrôle de l’espace public
et le contrôle de la construction privée.
4. Un dépassement dangereux dans les
constructions par rapport aux plans approuvés par la commission de permis de
bâtir et L’ INP.
5. L’impuissance des structures de contrôle
à gérer ces situations.
6. Le manque
d’une sensibilité patrimoniale au sein d’une large frange de la
population résidente, des commerçants, mais aussi et c’est encore plus grave,
chez certains élus locaux, les entreprises publiques et les intervenants sectoriels.
7. Lacunes au niveau de la situation
juridique, institutionnelle, fiscale et financière.
8. La situation critique des habitants qui,
d’un point de vue social, font partie des catégories de la population urbaine
les plus défavorisées.
9. L’absence
d’opérations d’infrastructures, d’équipements et d’habitat social permanentes.
IV.
DYSFONCTIONNEMENT STRUCTUREL ET
FONCTIONNEL
La Médina de Sousse est gérée, en tant qu’entité urbaine spécifique, à niveaux sectoriels indépendants. Chaque niveau de gestion
considère la Médina faisant partie du vaste périmètre urbain et le gère d’une
manière analogue aux autres entités de la cité.
C’est le cas de la gestion municipale, où la mairie d’arrondissement, les services de
la restauration des monuments, du permis de bâtir, de l’environnement, des
affaires économiques, des affaires sociales, de l’animation culturelles sont autonomes et indépendants les uns par rapport
aux autres.
Les autres secteurs : le patrimoine,
le tourisme, le commerce, la sécurité, etc...
interviennent aussi distinctement et en dehors de toute concordance manifeste.
Dans
les sites Historiques et quartiers anciens, La gestion relève généralement
d’une structure unique. Il est impératif d’éliminer ce dysfonctionnement par le
regroupement de tous les niveaux de gestion communale de la Médina dans une
même structure qui sera l’interlocuteur spécialisé incontournable et écouté. Cette
structure sera appelée à gérer tous les niveaux
d’intervention. Elle sera chargée aussi de coordonner avec tous les
autres acteurs.
Pratiquement, cette structure, qui
pourrait relever du maire ou du maire d’arrondissement, devrait avoir dans son
giron l’ensemble des intervenants et
être par conséquent l’interlocuteur principal dans toutes les affaires relevant
de la Médina.
Elle doit disposer d’une logistique
technico-administrative qui lui permettra de jouer un rôle d’assistance à la
décision.
De
fait, En 1994, suite à notre
participation à un réseau de coopération décentralisé entre villes européennes et
méditerranéennes et partant de
l’expérience et du savoir-faire d’autres villes, nous avons proposé la
création d’un « atelier de la
Médina ( ورشة المدينة العتيقة ) » et le doter de
tous les moyens humains, matériels et logistiques.
Mais, par manque de volonté politique et
l’absence de visées stratégiques chez les décideurs de l’époque, le projet fut
avorté. Les fonds alloués à la mise en place de cet atelier furent détournés et
n’ont servi qu’à la restauration partielle d’un monument historique.
V.
OUTILS INSTITUTIONNELS
Hormis un paragraphe, au plan
d’aménagement urbain, il est aisé de constater une absence de textes et moyens
institutionnels et juridiques dans la gestion de ce genre d’espace urbain,
sensible avec les aspects économique,
socioculturel et environnemental.
Des
tentatives ont été faites pour l’établissement d’un plan de sauvegarde et de
mise en valeur tel que spécifié dans le code du patrimoine.
Toutes les tentatives ont échoué faute de
volonté politique.
Il est utile de rappeler que le plan de
sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) est « un document permettant de créer un
secteur sauvegardé.
Il régit l'ensemble des espaces privés et
publics présentant un intérêt historique, nécessitant une conservation, où tous
travaux et aménagements intérieurs et extérieurs effectués par les résidents,
particuliers ou commerçants, doivent faire l'objet d'une démarche afin de
conserver une cohérence.
Par exemple, il peut être exigé que les
façades des immeubles existants soient restaurées en veillant à la nature, la
mise en œuvre et la couleur des matériaux. Les percements, la mise en œuvre des
menuiseries et vitrages, les ferronneries et la couverture sont aussi
réglementés.
L'occupation du domaine public est réglementée. Les devantures
anciennes doivent être conservées dans leur aspect originel et les différents
systèmes de fermeture dissimulés lorsque le commerce est ouvert. Les enseignes
sont également soumises à des règles précises, les enseignes lumineuses et la
publicité peuvent y être interdites » etc.
VI.
CONCLUSION
Les Médinas sont des totalités qui
supposent une démarche de planification globale et une programmation cohérente
patrimoniale et sociale (Monuments, urbanisme, infrastructure, équipements,
habitat, artisanat et commerce).
Une gestion objective requiert
l’institution d’une politique de partenariat entre la commune et tous les
acteurs et opérateurs concernés, étant donné que toutes les problématiques sont étroitement
imbriquées les unes dans les autres.
Il appartient donc à l’Etat à travers toutes ses institutions
(Ministère de la Culture « et de la Sauvegarde du Patrimoine », INP,
Ministère de l’Intérieur, Ministère du Tourisme, Ministère de l’Equipement de
l’Habitat, etc.) d’instituer une politique nationale de gestion et
d’intervention dans les Médinas et centres anciens et d’organiser les partenariats
indispensables à la sauvegarde du patrimoine qui fondent l’identité culturelle
de la nation.
Il appartient à la municipalité de Sousse
de créer des automatismes de gouvernance
destinés à influencer la bonne conservation de son centre historique urbain en
concevant et en développant des outils de gestion adaptés à cet espace urbain
extrêmement sensible.
Elle doit user de tous les outils
juridiques et institutionnels pour apporter des solutions pratiques aux
problèmes rencontrés sur le site.
Elle doit confronter les questions suscitées
par l’état des lieux et tracer les grands axes d'une mise en œuvre à court
et moyen termes en associant
impérativement tous les acteurs et en se basant sur toutes les composantes de
la société civile.
M.MOEZ NAIJA
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