mardi 2 juillet 2013

La médina de Sousse sans complaisance. Oui ... mais avec un peu de diligence




A propos du livre «La médina de Sousse sans complaisance. Ou l’art de détruire un patrimoine».
La médina de Sousse  sans complaisance !
Oui ... mais avec un peu de diligence

Article paru au journal « Tunis-Hebdo » N° 2008 du 01 Juillet 2013


La très modeste liste des livres réservés  à la ville de Sousse s’est enrichie par un nouveau titre «  La Médina de Sousse sans complaisance ; ou l’art de détruire un patrimoine ».
L’auteur n’est autre que si Mohamed Mestiri, qui fut pendant des années correspondant de Tunis hebdo à Sousse. Certaines de ses contributions dans ce journal ont trouvé place dans son nouvel  ouvrage.

Si Mohamed Mestiri, se  définit  lui-même dans son premier livre «Enfin libre», comme «un apprenti-spirite et écologiste convaincu du bien fondé de la stratégie  de la récupération, autant physique qu’immatérielle ... ».

L’ouvrage, relate un ensemble de défaillances dans la gestion quotidienne de la médina de Sousse, inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité.
Il colporte, sans s’approfondir sur les causes des dysfonctionnements  structurels et institutionnels qui auraient permis de telles désinvoltures, un ensemble d’actions, de projets et de manifestations, qui défigurent et dénigrent un patrimoine voué au cafouillage et  à l’improvisation.

Le livre, en soit, est un réel témoignage d’une situation de plus en plus grave et confuse de certains aspects de la vie quotidienne de la médina de Sousse.
C’est une première, dans la mesure où tous les écrits réservés à la ville de Sousse, sont plutôt jubilatoires, exaltants  et parfois approximatifs. La majorité des titres sont destinés à relater  la riche histoire de la ville de Sousse et sa médina, de ses monuments et de la  beauté des ses paysages essentiellement côtiers.
Concevoir une littérature de la médina dans un registre contestataire et réprobateur, est un fait nouveau et même original. Il ne peut être que positif et  salutaire, eu égards  à la multiplication des négligences qui ont instaurés un climat d’incompréhension entre les divers acteurs et intervenants locaux. Une appréciation critique ne peut que marquer les esprits et dégager un débat constructif qui aura pour but de corriger les dérives et mettre en place des mécanismes réformateurs et même rénovateurs de nos visions- jusque là-  statiques envers la médina. Ceci permettra de bouleverser les approches de gestion tant au niveau politico-administratif, qu’au niveau socioculturel.
Ce que, je me permettrai d’appeler «une sensibilisation rebelle», basée sur l’aspect provocateur d’un dialogue anticonformiste. Les passionnés de la médina et attachés aux  valeurs patrimoniales seront impliqués davantage  et traceront dans une approche participative la politique d’une meilleure gouvernance.

Et, le lecteur averti, est bien servi par le truchement, d’une ribambelle de critiques parfois acerbes, mais généralement tangibles, envers une série de manifestations de l’anti-génie humain ; des actions qui ont nui à l’image de la médina, tel cette prolifération des étals anarchiques dans les rues et places les plus nobles, causants des écarts incongrus de conduites et de comportement, ou cette manière impromptue ( ou absence de manière) de traiter un des phénomènes les plus désagréables qui soit ; utiliser le bas  des remparts nord comme urinoirs publics, ou encore des anachronismes de l’usage de certains monuments.

L’auteur s’étend aussi sur des critiques basées sur ses appréciations personnelles sur des aménagements, ou  des réhabilitations réalisées par les pouvoirs publics dans la médina. Je prendrai le cas des jardins des remparts, projet  incité et soutenu par l’auteur de ces lignes, que si Mohamed Mestiri réprouve dans l’ensemble et dans les détails à cause de ce qu’il voit comme une discordance de styles ramenés parfois à des querelles d’époques.
On peut être d’accord avec si Mohamed Mestiri, on peut ne pas l’être, c’est la nature humaine. Le fond demeure toujours notre conception du patrimoine.
Soit une conception «momifiante», peureuse d’apporter le moindre  apport par prudence et précaution, une conservation strictement sournoise et figée,  ou une approche dynamique et positive du cadre et de l’environnement général du monument, appelé obligatoirement à s’accommoder par sa richesse architecturale grave et auguste avec les mutations  socioculturelles et économiques.
Le monument en lui même, à mon humble avis,  doit être préservé, protégé et sauvegardé, dans un esprit de conservation naturelle et pure ... Son environnement devrait se développer dans une perception novatrice et rationnelle  par rapport à l’innovation du génie humain.
Dans le cas d’espèce ; aménager la périphérie des remparts en promenade  aux formes et motifs néoclassiques noyées dans des  pelouses gazonnées, ne peut être que bénéfique, et pour le monument et pour le promeneur et le flâneur  contemplant.
Le  gazon, lorsqu’il est bien entretenu, a une grande capacité d’absorber  le gaz carbonique,  Il filtre l’eau de la pluie la stocke et limite  ainsi le ruissellement; il produit de  l’oxygène, il rafraichit l’air, il limite le bruit et  atténue les nuisances sonores et régule même  le rayonnement lumineux. J’ajouterais sans équivoque qu’il joue un rôle essentiel dans notre équilibre psychologique.


Voila comment les jardins des remparts de la médina de Sousse contribuent solennellement à une meilleure préservation  du monument et surtout à une amélioration de notre perception.
Ceci donnerait lieu au concept de «mise en valeur»

Il faut reconnaitre, que la Medina n’est pas l’apanage d’un ensemble figé de murs et de murailles, mais une vie, et un mode de fonctionnement spécifique et ancré dans des traditions riches par l’apport ingénieux de chaque   ère de son existence.
Alors, si les arabes de différentes époques,  les andalous,  les turques, les  européens... ont pu signer leur passage avec beaucoup de charme et de délicatesse, en imprégnant la médina par leur génie du savoir faire, pourquoi voudrais-t-on  inhiber cette chance aux générations modernes  dans les strictes obligations du mode et de l’esprit de la conservation.
Alors, on pourrait, dans cet esprit,  allègrement aménager des jardins néoclassiques et  se permettre de planter du gazon aux alentours des remparts. On pourrait aménager une pergola à l’effet ombrageant à l’entrée de notre médina  sans affecter les valeurs intrinsèques de  notre patrimoine.
Pour ça, le débat est lancé. Si Mohamed Mestiri aura le mérite par son ouvrage d’amorcer  un dialogue qui ne peut être que constructif.

MOEZ NAIJA-SOUSSE

jeudi 30 mai 2013

MEDINA DE SOUSSE MEMORANDUM POUR UN DIALOGUE CONSTRUCTIF


               I.        INTRODUCTION
La Médina de Sousse a été inscrite sur la liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO le 09 décembre 1989. Elle est classée patrimoine mondial de l’humanité.
Depuis, elle subit des transformations, sur les plans architecturaux  et socio-économiques, incontrôlés.  Ces transformations ont nui aux aspects de son identité et à l’harmonie de ses composantes patrimoniales.
 Aujourd’hui, ces transformations pourraient  mettre en danger les caractéristiques grâce auxquelles le site a été inscrit sur la Liste du patrimoine mondial.
  Il faut rappeler que la Médina de   Sousse  est considérée  patrimoine  mondial parce qu’elle répond aux critères suivants : 
Critère (iii) la Médina de Sousse apporte un témoignage exceptionnel sur la civilisation des premiers siècles de l’Hégire. La Médina est conçue selon un plan régulier avec son axe méridien, menant de Bab el Kebli au Ribat et à l’ancien port, et son axe est-ouest, allant de Bab el Djedid  à Bab el Gharbi. Elle constitue un exemple précoce et intéressant de la ville islamique».
Critère (iv)  Le plus ancien et le mieux conservé de toute la série, le Ribat de Sousse est un exemple éminent de ce type de construction, avec son enceinte rectangulaire flanquée de tours et de tournettes, percée d’une seule porte, au sud, avec sa cour intérieure à deux niveaux sur laquelle ouvrent trente cinq cellules, une mosquée occupant le côté méridional du premier étage, avec sa tour sud-est, adjonction de 821, à la fois minaret et vigie, d’où l’on pouvait transmettre des signaux au Ribat de Monastir».
Critère (v) :« La médina de Sousse constitue un exemple éminent de l’architecture arabo-musulmane et méditerranéenne qui reflète un mode de vie traditionnel particulier. Cette typologie, devenue vulnérable sous l’effet des mutations socio-économiques irréversibles et de la modernité, constitue un patrimoine précieux qui doit être sauvegardé et protégé».
Ces valeurs connaissent depuis deux décennies des processus complexes de dégradation et de transformation qui ont  gravement porté préjudice aux valeurs patrimoniales et à l’identité de la cité. Elles  sont malheureusement  l’œuvre  d’acteurs locaux (population résidente ou opérantes), et un dysfonctionnement de l’appareil technique et administratif chargé de la gestion urbaine et de la conservation du patrimoine.

              II.        MENACES
L’équilibre entre les fonctions, les besoins des habitants et les questions relatives au patrimoine ainsi que l’application des réglementations existantes, sont les sources d’une grande difficulté de gestion de l’espace. Les acteurs locaux se sont trouvés dépassés voire impuissants devant des abus généralisés qui menacent l’intégrité  et l’authenticité du site.
L’intégrité visuelle  de la cité est par conséquent menacée par les nouveaux développements à l’intérieur et à  l’extérieur des limites matérialisées par les remparts, un des monuments les mieux conservés à l’échelle mondiale
L’authenticité est aussi rendue vulnérable sous l’effet d’une conservation inappropriée du patrimoine bâti et une édification inadaptée de nouvelles constructions.  
L’aspect architectural patrimonial se trouve défiguré  par les habitants (ou utilisateurs) eux-mêmes. L’architecture de la Médina de Sousse est  typiquement  sobre et élégante. Elle est malheureusement modifiée sans tenir compte de l'aspect architectural historique. La ville ancienne risque d'être défigurée par des bâtiments dont l'aspect n’a rien à voir avec la typologie de l’art arabo–musulman propre à Sousse. Ceci se traduit fortement par  une altération de l’aspect des façades par les résidents et  les commerçants. Des  mutations qui défigurent  les apparences des rues et menacent une disparition pure et simple de la typologie générale de la Médina.
A cela s’ajoute un traitement inadéquat de l’espace extérieur par des opérateurs publics, telle que la prolifération anarchique des réseaux aériens; œuvre d’entreprises publiques. 

En outre, une importante partie du patrimoine bâti, est en ruine ou menace de s’effondrer avec une  absence de solutions immédiates.
D’autre part, le mauvais usage de l’espace urbain de la Médina par  les fonctions commerciales crée une  série de dérèglements qui menacent l’existence même  de la Médina comme valeur essentielle du patrimoine vivant et hétéroclite.
Il s’agit surtout de l’invasion de la fonction commerciale aux dépens de la fonction résidentielle, d’une gestion impropre des activités commerciales,  tournées vers l’artisanat et la vente de produits de la contrefaçon et surtout d’une  prolifération du commerce parallèle (anarchique) qui offre des produits de très bas de gamme et occupe des voies de circulation et des places nobles. Ce phénomène  dégrade structurellement l'espace public urbain, par le développement du désordre et de la confusion.

                  III.        CAUSES
Ces dérèglements sont dus, à notre avis, à un cumul d’insuffisances structurelles et à des lacunes de gestion :
Nous citons :
1.    Une absence de vision stratégique et d’une volonté politique claire à l’échelle centrale. Ceci s’est toujours traduit par une absence d’une  politique de sauvegarde du patrimoine historique et traditionnel. Une telle politique aurait dû  – si elle avait lieu – faire imbriquer toutes les composantes du patrimoine vivant dans une démarche de conservation intégrée et généralisée. Les Centres Historiques seraient de ce fait un  lieu privilégié de l’habitat dans ses dimensions sociales, des activités commerciales, et de la créativité artisanale et culturelle.
2. Une absence d'orientations et de directives propres en matière de gestion de l’espace urbain - sensible - de la Médina. Ce qui a mené une dispersion de compréhensions, de visions, d'approches et d'interprétations de la part des différents acteurs et intervenants.
3. Une insuffisance de contrôle de gestion notamment le contrôle de l’espace public  et le contrôle de la construction privée.
4. Un dépassement dangereux dans les constructions par rapport aux plans approuvés par la commission de permis de bâtir et L’ INP.
5. L’impuissance des structures de contrôle à gérer  ces  situations.
6. Le manque  d’une sensibilité patrimoniale au sein d’une large frange de la population résidente, des commerçants, mais aussi et c’est encore plus grave, chez certains élus locaux, les entreprises publiques et les intervenants sectoriels.
7. Lacunes au niveau de la situation juridique, institutionnelle, fiscale et  financière.
8. La situation critique des habitants qui, d’un point de vue social, font partie des catégories de la population urbaine les plus défavorisées.
9.  L’absence d’opérations d’infrastructures, d’équipements et d’habitat social permanentes.

                   IV.        DYSFONCTIONNEMENT STRUCTUREL ET FONCTIONNEL
La Médina de Sousse est gérée,  en tant qu’entité urbaine spécifique,  à niveaux sectoriels  indépendants. Chaque niveau de gestion considère la Médina faisant partie du vaste périmètre urbain et le gère d’une manière analogue aux autres entités de la cité.
 C’est le cas de la gestion municipale, où  la mairie d’arrondissement, les services de la restauration des monuments, du permis de bâtir, de l’environnement, des affaires économiques, des affaires sociales, de l’animation culturelles sont  autonomes et indépendants les uns par rapport aux autres.
Les autres secteurs : le patrimoine, le tourisme, le commerce, la sécurité, etc...  interviennent aussi distinctement et en dehors de toute concordance  manifeste.
 Dans  les sites Historiques et quartiers anciens, La gestion relève généralement d’une structure unique. Il est impératif d’éliminer ce dysfonctionnement par le regroupement de tous les niveaux de gestion communale de la Médina dans une même structure qui sera l’interlocuteur spécialisé incontournable et écouté. Cette structure sera appelée à gérer tous les niveaux  d’intervention. Elle sera chargée aussi de coordonner avec tous les autres acteurs.
Pratiquement, cette structure, qui pourrait relever du maire ou du maire d’arrondissement, devrait avoir dans son giron  l’ensemble des intervenants et être par conséquent l’interlocuteur principal dans toutes les affaires relevant de la Médina.
Elle doit disposer d’une logistique technico-administrative qui lui permettra de jouer un rôle d’assistance à la décision.
   De fait,  En 1994, suite à notre participation à un réseau de coopération décentralisé  entre villes européennes et méditerranéennes  et partant de l’expérience et du savoir-faire d’autres villes, nous avons proposé  la  création  d’un « atelier de  la  Médina ( ورشة المدينة العتيقة ) » et le doter de tous les moyens humains, matériels et logistiques.
Mais, par manque de volonté politique et l’absence de visées stratégiques chez les décideurs de l’époque, le projet fut avorté. Les fonds alloués à la mise en place de cet atelier furent détournés et n’ont servi qu’à la restauration partielle d’un monument historique.

                      V.        OUTILS INSTITUTIONNELS
Hormis un paragraphe, au plan d’aménagement urbain, il est aisé de constater une absence de textes et moyens institutionnels et juridiques dans la gestion de ce genre d’espace urbain, sensible avec les aspects  économique, socioculturel  et environnemental.
           Des tentatives ont été faites pour l’établissement d’un plan de sauvegarde et de mise en valeur tel que spécifié dans le code du patrimoine.
Toutes les tentatives ont échoué faute de volonté politique.
Il est utile de rappeler que le plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) est « un document permettant de créer un secteur sauvegardé.
Il régit l'ensemble des espaces privés et publics présentant un intérêt historique, nécessitant une conservation, où tous travaux et aménagements intérieurs et extérieurs effectués par les résidents, particuliers ou commerçants, doivent faire l'objet d'une démarche afin de conserver une cohérence.
Par exemple, il peut être exigé que les façades des immeubles existants soient restaurées en veillant à la nature, la mise en œuvre et la couleur des matériaux. Les percements, la mise en œuvre des menuiseries et vitrages, les ferronneries et la couverture sont aussi réglementés.
L'occupation du domaine public est réglementée. Les devantures anciennes doivent être conservées dans leur aspect originel et les différents systèmes de fermeture dissimulés lorsque le commerce est ouvert. Les enseignes sont également soumises à des règles précises, les enseignes lumineuses et la publicité peuvent y être interdites »  etc.

                   VI.        CONCLUSION
Les Médinas sont des totalités qui supposent une démarche de planification globale et une programmation cohérente patrimoniale et sociale (Monuments, urbanisme, infrastructure, équipements, habitat, artisanat et commerce).
Une gestion objective requiert l’institution d’une politique de partenariat entre la commune et tous les acteurs et opérateurs concernés, étant donné que toutes  les problématiques sont étroitement imbriquées les unes dans les autres.
Il appartient donc  à l’Etat à travers toutes ses institutions (Ministère de la Culture « et de la Sauvegarde du Patrimoine », INP, Ministère de l’Intérieur, Ministère du Tourisme, Ministère de l’Equipement de l’Habitat, etc.) d’instituer une politique nationale de gestion et d’intervention dans les Médinas et centres anciens et d’organiser les partenariats indispensables à la sauvegarde du patrimoine qui fondent l’identité culturelle de la nation.
Il appartient à la municipalité de Sousse de créer des automatismes de  gouvernance destinés à influencer la bonne conservation de son centre historique urbain en concevant et en développant des outils de gestion adaptés à cet espace urbain extrêmement sensible.
Elle doit user de tous les outils juridiques et institutionnels pour apporter des solutions pratiques aux problèmes rencontrés sur le site.
 Elle doit confronter les questions suscitées par l’état des lieux et tracer les grands axes d'une mise en œuvre à court et  moyen termes en associant impérativement tous les acteurs et en se basant sur toutes les composantes de la société civile.
                                                       M.MOEZ NAIJA